POÈMES
Autrice Hanna Sieviaryniec
Traduction: Christine Biloré
***
Certains ont dit : j’entends le murmure de son grondement sourd.
D’autres, sceptiques, ont plissé leurs yeux.
Nous avions peur que mille neuf cent trente-sept ne fasse son retour.
Mais elle rodait déjà en ces lieux.
Elle prenait le tramway avec nous, nous accompagnait au cinéma.
S’asseyait avec nous sur un banc et buvait une bière ou un coca.
Parfois elle jouait contre nous, parfois elle était de notre côté,
Quand nous accompagnions un enfant à l’école en début d’année.
Elle était comme nous. Elle était notre sœur et notre camarade.
Elle n’avait pas besoin de construire des barricades.
Elle est là, avec nous et ne veut pas rebrousser chemin.
Elle a simplement modifié son nom en deux mille vingt.
Elle peut changer de nom comme on fait ses courses au magasin.
Et mille neuf cent trente-sept n’est pas la première,
Sa présence parmi les hommes ne date pas d’hier.
Et elle sera encore là, tant que nous n’étudierons pas le visage de l’ennemi,
Comme nous étudions le nôtre dans le miroir de la salle de bain.
Regarde-toi. Hier, tu as ignoré le mal et tu n’as rien dit.
Tu as cédé à tes chefs. Tu as eu peur et n’es pas sorti.
Ton regard a changé. Tu t’en laves les mains.
Mais méfie-toi. L’année mille neuf cent trente-sept, elle est là, en ton sein.
Le 15/08/2020
***
Une voiture quitte Mstsislaw en direction de Brest
Entre les champs et la forêt, elle file à toute vitesse.
Et pendant qu’elle roule, quelqu’un est emmené à Okrestina,
L’un se retrouve dans une colonie pénitentiaire, un autre est baptisé,
L’un apprécie son petit-déjeuner, un autre pleure un disparu,
L’un est mis sous respirateur, un autre est détenu,
L’un fête son anniversaire, un autre fait son marché,
Ou déambule dans les rues, ou prend d’assaut la frontière,
L’un croit ses voisins, un autre les trahit,
Mais la voiture poursuit sa route comme un éclair.
Sur cette montagne, dans ce vent en furie,
Etourdie par les événements et ce que tu as vécu,
Tes veines, telles des fleuves en hiver, sont gelées,
Les êtres chers tombent, comme des arbres abattus,
Deviennent cendres au vent jetées,
Comme s’ils n’avaient pas existé, comme si tout avait disparu,
De Mstsislaw à Brest, la voiture poursuit son avancée,
Elle est partie avant que tout ne soit comme aujourd’hui,
Tout s’est déjà écroulé mais elle continue de rouler,
Comme si rien de tout cela ne s’était produit,
Des cadeaux plein le coffre, sans retour,
La voiture roule, la vie poursuit son cours.
Le 10/11/2021
***
Nous qui avons cru en la victoire du bien contre le mal,
Nous qui avons cru que le mal reculerait,
Pétrifiés, dans la merde jusqu’au cou, laissant notre destin se faire piétiner,
Nous témoignerons du temps nécessaire pour que le mal soit chassé.
Le 10/11/2021
***
Je grandirai. Je grandirai immanquablement,
Je traverserai cette époque de leçons insupportables.
J’en tirerai des conclusions, je comprendrai sûrement,
Je balaierai tous les signes et les présages de la table
Je grandirai et je deviendrai une vieille femme forte comme l’acier,
Qui fumera sans arrêt et enverra les curieux se faire…et,
Silencieuse avec la majorité, je n’hésiterai pas à gifler
Celui qui s’introduira dans mon jardin, se croyant tout puissant.
Je grandirai et je cesserai de croire en les médicaments,
En la responsabilité collective et en la culpabilité partagée,
Je n’aimerai que mes petits-enfants,
Et je leur dirai : Mes chers petits,
Faites ce que vous voulez, mais cependant,
S’il vous plait, plus de guerre, plus de conflit.
Le 21/05/2022
***
Si tu n’avais pas reçu griffes et crocs dès le départ,
Beaucoup de choix de vie auraient tout de même fait ta fortune.
Tu peux courir comme une antilope en espérant fatiguer le guépard,
Tu peux scintiller en silence comme un poisson sous le clair de lune.
Tu peux te mettre en boule et attendre que l’orage s’éloigne à nouveau,
Ainsi, depuis l’école, tu laisses pousser tes épines pour le combat,
En espérant que personne n’osera te jeter à l’eau,
Où inévitablement, doux, fin et léger, tu flotteras.
Tu peux crier, aboyer ou encore te jeter dans la bagarre,
Remuer la queue, gémir, hurler, ou même grogner,
Creuser des trous, faire le mort, te cacher quelque part,
Ou simplement rentrer chez toi en courant comme un dératé,
Mais voici un conseil pour le sage : Rentre ta tête,
tes bras, tes jambes et ta queue dans ta carapace.
Et de là ne regarde que l’herbe verte,
les pétales roses et l’éclat du soleil fugace.
Tu peux continuer comme ça pendant trois cent ans.
Dans la fraicheur, au bord d’un calme ruisseau qui fredonne.
Et tu ne causeras aucun incident.
N’est-ce pas là le but ? Surtout ne déranger personne.
Le 22/06/2022