TEXTES
Auteur Arciom Arašonak
Traduction: Christine Biloré
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Au deuxième étage, dans un appartement collectif. La grande salle à manger est remplie de cartons de bananes. Max en apporte un autre, le pose sur la table ronde et en sort des livres et des classeurs.
— L’occupant de l’appartement d’à côté est décédé. Sa fille m’a donné sa bibliothèque. Il nous a fallu trois jours pour tout déménager. Jette un œil, peut-être que quelque chose t’intéresse, dit mon ami en se dirigeant vers la cuisine.
J’ouvris le classeur qui contenait une collection de timbres de l’URSS de 1974. Il y avait beaucoup de blocs de quatre timbres représentant des tableaux, des séries de feuilles sur la protection de la nature, l’histoire de l’aviation et la Révolution d’octobre. Cette année-là, la poste avait aussi émis un timbre pour les 1000 ans de Vitebsk, mais il n’était pas dans l’album. C’est une collection disparate: des cartes postales et des timbres de Mongolie soviétique, de Hongrie, de Bulgarie, mais aussi des timbres roumains de 2 lei à l’effigie de Ceausescu, dans une enveloppe à part.
— Tu imagines, il y a même le livre «Les tribus du monde, version illustrée»! dit sa voix enjouée dans la cuisine.
L’odeur du café remplissait l’atmosphère. Au bas de la couverture grise de l’album, je remarquai une petite étiquette avec l’inscription «Association Estonpaperprom, 7,50 roubles» et une enveloppe vide portant le nom de Mikalaï Efimovich du village de Klooga, près de Tallinn. Le cachet de la poste indiquait la date du 25 janvier 1979.
Une minute plus tard, Max réapparut, posa un plateau métallique sur la table avec une cafetière, des bonbons, des gâteaux et des noisettes, versa du café dans les tasses, prit un livre à la couverture verte et se mit à raconter:
— «Les tribus du monde» a été publié dans les années 1863-64 par la maison d’édition du Dr Khan en trois tomes, dit Max en ouvrant cette ancienne édition. Mais mon voisin n’avait que le tome 2. Ce livre présente les cultures et les coutumes des peuples d’Amérique et d’Afrique. Il manque quelques pages et les pages de garde. Sous le portrait d’une femme, une marginale, une personne inconnue a inscrit «staraja kurwa[1]» à l’encre noire… mais le plus intéressant est que ce vieux livre d’ethnographie est parvenu entre les mains de Markov depuis la Bibliothèque russe Tourguenev de Paris qui a été quasiment détruite au cours de la Deuxième guerre mondiale! En octobre 1940, les livres, peintures et bustes furent emportés vers une destination inconnue. D’après les cachets de bibliothèque, il semblerait que certains livres se soient retrouvés dans la Bibliothèque Nationale du Bélarus et même dans la Bibliothèque présidentielle. Sur ce livre, le cachet de la bibliothèque indique «9 rue du Val-de-Grâce», ce qui veut dire qu’il faisait partie de la collection entre 1917 et 1936, puisque la bibliothèque a déménagé Rue de la Bûcherie en 1937. Où sont passés les tomes 1 et 3, personne ne le sait. D’ailleurs, c’est aussi la maison d’édition du Dr Khan qui a publié l’ouvrage «Enquête ethnographique de la province de Vitebsk» de Semientovsky en 1875…
Je buvais du café avec Max et il me montrait le tome 3 d’une édition de Léon Tolstoï de 1912, avec des vignettes du maître relieur Paléologue et de la librairie Trud de la rue Deribasovskaya d’Odessa et portant l’inscription «Pour Anna de Kuzma» sur la page de titre. Soudain, quelqu’un sonna à la porte.
— C’est la police, dit mon ami en souriant calmement. Ils sont déjà venus hier pour me donner un avertissement, mais je n’ai pas ouvert… Pour moi, les livres et les collections de timbres sont des documents témoins d’empires disparus, des objets d’étude. Pour eux, il ne s’agit que de produits issus du traitement de la cellulose permettant de publier des tonnes de journaux, protocoles, notes explicatives et autres certificats officiels de propagande. Le temps passera et l’histoire conservera la plupart de ces documents dans les archives, mais la grande majorité finira en tapis multicolores dans les allées de la liberté à l’ombre des jeunes érables.
Les cachets de la poste
Après la réintégration des provinces de Vitebsk et Mogilev à la République socialiste soviétique de Biélorussie en 1924, la langue biélorusse est réapparue sur les cachets de la poste. Une série de timbres-poste disparus consacrés au 10e anniversaire de la Première armée à cheval (1930) avait été conservée. Sur un des timbres d’une valeur de 10 kopecks, «MINSK-MENSK, 21.8.1930» était inscrit en lettres noires épaisses et, sur un autre timbre d’une valeur de 5 kopecks, un timbre rond, figurait la mention «(?).5.1930, POLOTSK». Après la Seconde Guerre mondiale, la région de Polotsk avait à nouveau utilisé un nouveau timbre bilingue aux lignes fines. Il s’agissait d’un timbre de 2 roubles de 1943, célébrant le 200e anniversaire de la mort de Vitus Béring, avec l’impression «Polotsk-Polatsk 22 (?).5.1945» se dessinant nettement en relief. Pendant la guerre, les services postaux n’ont pas été interrompus sur le territoire du Bélarus, mais je n’avais jamais vu d’envois datés entre le 22/06/1941 et 1944. Après 1944, j’ai vu assurément une carte postale datée du 02/05/1944 en provenance de Czestochowa à destination de l’aciérie de Talatchyn et une carte postale d’Oranienburg à destination du village de Viarcinskija dans le district de Pastavy. Sur cette dernière, en plus du cachet de la poste d’une ville de l’est de l’Allemagne, figurait un cachet rond de couleur violette avec les lettres «Aa» en son centre. La carte de bons vœux du 1er mai, envoyée par la franchise militaire 35652/34 reste un mystère. Dans le coin inférieur gauche, les armoiries de l’URSS et le texte «Examiné par la censure militaire 27805». Une boite en carton de 10 x 15 cm a été envoyée à l’adresse suivante : Valiantina Rogovska, Services des marchandises, Chemin de fer de l’Ouest, Vitebsk. Dans le coin supérieur droit, un cachet de couleur noire portant l’inscription «Poste en franchise militaire». La date était illisible. Et un deuxième cachet avec l’étoile à cinq branches dans le coin inférieur droit de la carte avec la date du 2/5/1944 (?). L’année est incertaine, car le 2 mai 1944, la ville de Vitebsk était occupée par les Allemands. En effet, le second «4» de l’année ressemble à un «6» mal imprimé et c’est bien dommage que l’expéditeur n’ait pas indiqué la date dans ses vœux.
En 2020, les services postaux au Bélarus ont acquis à nouveau de l’importance, car les prisonniers politiques attendaient des lettres et des cartes postales de félicitations et d’encouragement. Peu importe que les dates ne figurent pas dans les lettres car les cachets de la poste permettront d’inscrire ces dates sur le calendrier de l’histoire
[1] Vieille pute