Auteur Źmicier Kres
Traduction: Christine Biloré
***
« Dans la prison de la conscience,
Il est possible de quitter sa cellule » –
Mots de consolation à mon ami,
Alors que je remarque le trou
Dans la vieille chemise
De mon père.
***
J’ai trouvé du gras au fond
De ma gamelle de gruau…
J’entends dans mon dos
La voix amicale du maton :
« Voici les premières neiges »
***
L’homme du futur m’apparaît
Il ne nous ressemble point.
À nos yeux, pire qu’un estropié:
Deux glandes, cinq grammes en moins.
Appauvri par tant d’affections délétères,
L’âme aux sentiments fuyarde.
Fenêtres rudimentaires dans le péricarde,
Glandes surrénales prêtes à la guerre.
***
Il y a le front.
Là où ils tirent.
Où parfois la mort ne fait pas peur,
Car les balles vous fauchent de façon inattendue.
Et puis, il y a l’arrière-front.
Là où ils se cachent.
La mort y a plus de succès…
Car en rentrant du marché,
Elle est tapie là,
À attendre,
Avec son appétit
Putride.
***
Cela correspondait quasiment à tout ce qu’avait imaginé Genik. Les cellules lui rappelaient en effet la saleté des couloirs des établissements sociaux en béton, ces bunkers uniques dispersés çà et là, comme des points, dans tous les quartiers-dortoirs de cette ville. La façon dont l’architecture sans âme du constructivisme militaire a été consciencieusement réhabilitée par les architectes civils d’un système, en apparences, civil lui aussi, semble relever de l’ironie ou de la moquerie. Pourquoi, alors libre, se sentait-il mal à l’aise dans ces établissements et ressentait-il leur esprit pénitentiaire dont il ne pouvait se rendre compte que grâce à sa nouvelle expérience ? Ou bien cela préfigurait-il ce qui lui arrivait maintenant ?
La peinture écaillée des murs de sa cellule témoignait de l’histoire de plus d’une génération de détenus mais il souhaitait la lire le moins possible. Pour lui, un individu libre et sans limite jusqu’à il y a peu, prêter attention à ces murs signifiait être d’accord avec son nouveau statut, l’accepter et devenir un prisonnier. Tout en lui s’y opposait. Il se mit à penser aux rues, aux grands espaces, aux petits soucis de la vie citadine, mais une grande anxiété au sujet de son avenir incertain interrompit son flot de pensées, embruma son esprit et affaiblit sa volonté. Une nausée extrême, comme s’il était malade, envahit son corps à un point tel qu’il avait du mal à garder les yeux ouverts, mais il faut dire qu’il n’avait quasiment pas dormi.
Genik essaya de s’étirer, de faire quelques mouvements pour éclaircir ses pensées, mais cela le fatigua encore plus et il finit par se rassoir sur le sol glacé et se referma sur lui-même. Des gens comme lui étaient assis à ses côtés. Ils étaient nombreux, mais tous se taisaient. Le silence était abyssal ; de temps à autre, telles des bulles remontant des profondeurs, les insultes des gardiens atteignaient leur conscience, mais cela ne dérangeait personne. Le silence n’était pas si oppressant.
En liberté, il semblait impossible à Genik qu’une petite communauté se joigne à une autre, plus grande mais sans défense, dont les membres étaient bien plus nombreux. Au plus profond de ses réflexions, il faisait habituellement le lien entre ces exemples de l’histoire et les points faibles ou l’infériorité de ces grandes communautés et en aucun cas ne les rapportait à ceux de celle à laquelle il appartenait. Il lui semblait que l’histoire avait fait un pas en avant et avait clos ce chapitre comme celui de l’empire assyrien. Le sol glacé et le silence de ses compagnons mettaient douloureusement le doigt sur son erreur. Ils s’étaient faits prendre alors qu’ils étaient nombreux, bien plus nombreux que ces corbeaux noirs si habiles à les saisir dans une file comme s’ils dépeçaient un corps. Et cette grande communauté en laquelle il croyait était incapable de se protéger…. De le protéger.
Les premiers jours, alors qu’on entendait d’on ne sait où le bruit des vagues, ils percevaient le grondement sourd de la foule et cela leur donnait de l’espoir. Il lui semblait que les murs allaient voler en éclats sous la force de la tempête, que le courant rapide allait les saisir et les ramener là-bas, vers la lumière, là où il y a de l’air, du vent et où on sentait le sol sous ses pieds. Mais au fil du temps, le bruit des vagues se fit discret, l’espoir s’évanouit et l’affreux gargouillis des gardiens remonta comme du plus profond des eaux. Genik enviait ceux parmi ses compagnons qui se plaignaient à haute voix car ils avaient dépassé leur honte. Sa honte s’était transformée en un profond désespoir qui l’empêchait de desserrer ses lèvres. Dans cet état, il voyait de moins en moins les murs de la cellule, les visages de ses compagnons et le mouvement inhabituel qui commençait derrière les grilles…
– … Genik… Genous ! Ils ont ouvert les portes… Debout !
Et à nouveau le bruit des vagues. Des visages sympathiques, des remerciements et tellement de mains à serrer, des mains chaleureuses et bienveillantes. Et la voilà qui l’attend, cette même grande ville dont il faut trois jours pour faire le tour. Tout en trois jours.
Sens ton corps sous tes doigts. Pince-toi. Non…c’est bien le même ventre. Prends conscience de l’atmosphère.